Radiotunisiamed

    lundi 23 mai 2016

    Quoi qu’ils fassent, les islamistes d’Ennahdha n’inspirent pas confiance



    Le congrès d’Ennahdha s’est achevé avec un résultat qui ne surprend personne, Rached Ghannouchi a été réélu pour cinq ans à la tête du parti islamiste.
    Pour la forme, et en apparence, le congrès s’est très bien déroulé. Tout observateur non avisé, notamment parmi les étrangers, dira que la démocratie au sein de ce parti est respectée et que le vote, par tablettes, n’a rien de suspect. Rares sont les partis où l’on peut se targuer d’une telle performance. Quand on pense aux conflits post-dépouillements dans les élections internes françaises entre Martine Aubry et Ségolène Royal (Congrès de Reims du PS, novembre 2008) ou entre Jean-François Copé et François Fillon (Congrès de l’UMP, novembre 2012), on se dit qu’Ennahdha devient un modèle démocratique même pour les démocraties dites avancées.
    Ce discours sur la forme et l’apparence est parfait pour que les Nahdhaouis le servent à leurs amis et aux médias internationaux. De même, les Nahdhaouis peuvent dire et convaincre leurs amis étrangers et les médias internationaux qu’ils ont séparé l'activité prosélyte du travail politique.
    A Tunis, cependant, on regarde les choses autrement. Le parti islamiste est observé avec beaucoup de méfiance et suspicion. « On ne nous la fait pas, nous ne sommes pas des pigeons », entend-on un peu partout à propos d’Ennahdha, de son congrès et de ses motions. En clair, quoiqu’ils fassent, quoiqu’ils disent, les islamistes d’Ennahdha n’arrivent pas à inspirer confiance auprès d’une population hostile à l’islamisation du pays et à leur mode de vie.

    Dans son discours à l’ouverture du congrès, vendredi dernier, le président de la République Béji Caïd Essebsi figure parmi les premiers suspicieux. Si son message global est accueillant et positif, il n’en demeure pas moins que ses messages entre les lignes reflètent que la confiance ne règne toujours pas. « J’espère vraiment que vous réussissez, dans vos travaux, à insister à dire qu’Ennahdha est devenu un parti civil tunisien, en fond et en forme, loyal à la seule Tunisie et que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, a déclaré le chef de l’Etat aux congressistes. (…) On espère que vous prouverez tout cela à travers les motions et j’espère que vos travaux insistent sur le fait qu’Ennahdha tire ses spécificités du modèle sociétal tunisien et prenne en considération uniquement ce modèle socio-politique tunisien, sans aucun autre, lorsqu’elle décide de ses politiques ».
    Béji Caïd Essebsi se présente avec des a priori positifs, mais il espère quand même des faits concrets et attend des preuves. Son scepticisme n’est pas né de rien et il n’est pas le seul à se méfier et à prendre cette distance de prudence.
    Intervenant au lendemain du démarrage du congrès, la journaliste et militante de gauche Naziha Rjiba (alias Om Zied) tire une sorte de sonnette d’alarme : « le discours de Ghannouchi est un véritable hold-up de nos idées et de nos revendications pour lesquelles nous avons été combattus et traités de mécréants quand on les lui a opposés à l’époque de la troïka à un moment où il était grisé par le pouvoir. En novembre 1987, Ben Ali a usé du même stratagème. Pour remplir son discours mensonger, il a volé toutes les idées et tous les projets de l’élite nationale, qu’il combattait. La faute n’incombe ni à Ghannouchi, ni à Ben Ali, mais à cette élite qui s’arrête sur les slogans sans avoir les moyens de mettre en pratique ses idées et sans pouvoir les protéger du vol et de la manipulation ».
    Même suspicion chez l’universitaire Neïla Sellini qui attire l’attention sur le jeu de mots d’Ennahdha : « la crédulité des gens me fait peur. Quand Ghannouchi dit séparer le religieux du politique, il n’a pas dit abandonner le religieux, il a dit séparer. C'est-à-dire qu’Ennahdha a aujourd’hui deux ailes, l’une pour s’occuper du politique et l’autre du religieux » L’universitaire compare les deux ailes d’Ennahdha aux deux tranches d’un sandwich entre lesquelles on place des ingrédients. Et de conclure en toute ironie : « Dormez tranquillement ! »

    En réponse à toutes ces critiques et suspicions, les différents leaders d’Ennahdha crient en chœur : « C’est un procès d’intentions et vous devriez prendre acte de toute cette bonne volonté pour vous convaincre que nous avons changé ! Vous n’avez pas le droit de continuer à nous considérer comme des pestiférés, nous sommes des Tunisiens autant que vous !».
    Si l’on ne peut pas exclure qu’il y a une dose de mauvaise foi chez les suspicieux, il est bon aussi de rappeler que cette suspicion n’est pas née du néant. Si certains évoquent le passé plus ou moins lointain pour la justifier (Om Zied), d’autres évoquent le passé récent (comme le militant Karim Baklouti Barketallah dans sa tribune hier sur Business News) et le présent.
    « Le congrès est grandiose, tellement grandiose qu’on peut le considérer comme stalinien », commente l’analyste Sofiene Ben Hamida.
    Au vu des résultats quasi-soviétiques des votes, on ne saurait en effet penser le contraire.Rached Ghannouchi est élu avec 75,6% des voix et les motions sont adoptées avec des pourcentages oscillant entre 71,9% et 91%. « Avec ces chiffres à la Bourguiba et Ben Ali, on peut dire qu’Ennahdha s’est bien tunisifiée », ont ironisé plusieurs d’ailleurs.
    On parle de votes transparents avec tablettes et une véritable démocratie et ceci est vrai. Mais cette démocratie nous rappelle la démocratie iranienne où l’on sélectionne drastiquement, et à l’avance, les électeurs et les candidats.
    Rached Ghannouchi a beau parler de la séparation entre le religieux et le politique, plusieurs membres du majlis choura et parmi ses députés continuent encore à assurer ce mélange. Pour eux, le religieux continue (et continuera) à primer sur le civil. La preuve, le refus catégorique des députés islamistes du projet de loi relatif à l’égalité de l’héritage qui se voulait, pourtant, conforme à la Constitution et respectueux de la civilité de l’Etat.
    Même les « intellectuels » et les « penseurs » proches ou membres d’Ennahdha demeurent fidèles à leur conservatisme religieux et oublient carrément leur civisme quand on les met face à leurs propres contradictions. Exemple type, Radwan Masmoudi qui se présente comme défenseur des libertés et  chantre de la cohabitation entre islam et démocratie, mais n’hésite pas pour autant à insulter et dénigrer ceux qui défendent un mode de vie différent de sa vision. Ses positions homophobes, sa misogynie et ses attaques contre les médias anti-islamistes n’ont jamais baissé de fréquence.

    Si l’on se tenait à la théorie et aux belles paroles d’Ennahdha, le plus extrémiste des laïcs voterait pour le parti islamiste. Mais quand on voit les pratiques au quotidien, l’hostilité camouflée dans les manifestations publiques et dégagée dans leurs sphères privées (pas si privée avec leurs pages Facebook infiltrées) et un masque qui tombe à chaque grande occasion, on a du mal à croire en la transformation réelle des islamistes d’Ennahdha.
    En dépit de tous ces procès d’intention et de toutes ces suspicions, il est un fait indéniable que les autres partis doivent prendre en considération en priorité : Ennahdha est aujourd’hui le parti le plus structuré, le plus organisé et, surtout, le plus discipliné. Que les islamistes soient sincères ou hypocrites, ils sont incontestablement les plus forts sur la scène.
    Face à une opposition crédule, divisée et affaiblie, ils risquent demain de prendre le pouvoir et feront, dès lors, tout pour ne plus jamais le quitter en appliquant ce qu’ils veulent appliquer, que ce soit le Coran ou la Constitution. Ils seront les seuls maîtres à bord.
    Ce jour-là, les suspicieux d’aujourd’hui pourront crier « Nous vous avons prévenus, on les connait ! », mais il sera déjà trop tard.
    Alors, plutôt que de s’occuper d’Ennahdha, de sa sincérité prétendue et de son hypocrisie supposée, les autres partis ont intérêt à se mettre à son niveau pour pouvoir l’affronter au moment des élections. 

    Retour sur le 10eme Congrès d'Ennahdha


    Le président et leader historique du mouvement islamiste tunisien Ennahdha, Rached Ghannouchi, a sans surprise été réélu lundi à l'aube à la tête de cette formation qui vient d'acter sa mue en "parti civil".

    Ennahdha, l'une des principales forces politiques de Tunisie, a tenu son dixième congrès au cours du week-end pour élire une nouvelle direction, faire le bilan de son action et établir sa stratégie pour les années à venir.

    M. Ghannouchi, 74 ans, a obtenu 800 voix, tandis que 229 votes sont allés au président sortant du Conseil de la Choura, la plus haute autorité du parti, Fethi Ayadi, et 29 à Mohamed Akrout, un responsable du parti, selon les résultats affichés sous les acclamations sur un grand écran dans la salle où étaient réunis les congressistes.
    Huit candidats avaient d'abord été proposés par les congressistes, avant que certains n'indiquent vouloir se retirer de la course, selon une responsable du parti.
    Le Congrès de la mue?
    Intervenant sur les ondes d'Express Fm, le porte-parole d'Ennahdha, Oussama Sghaier, a affirmé que le mouvement Ennahdha "est totalement différent de celui avant la révolution" indiquant "qu'avant la révolution, il s'agissait d'un mouvement militant, contre la dictature. Son travail était basé sur les droits de l'Homme, les prisonniers (politiques) (...). Après, la révolution, il a participé au gouvernement, est présent dans les administrations, à l'Assemblée (...), il fallait donc qu'il change, qu'il évolue".
    Cette évolution s'est traduite dans le consensus sur le chemin à prendre par le parti selon lui: "Lors du Congrès de 2012, ici à Tunis, peut-être que les votes n'auraient pas été aussi unanimes, il y aurait surement eu des dissensions, peut-être que les choses n'auraient pas été aussi stables"
    Le pourcentage de votes sur les différentes questions lors du Congrès appuient ces fait affirme Oussama Sghaier: "Moi je pense que nous avons fait un grand pas et il y' a eu consensus sur beaucoup de choses et cela s'est vu dans les pourcentages de votes".

    Quelle organisation?
    Selon le porte-parole du parti, celui-ci s'organise comme l'État: Un président, qui choisit son gouvernement à savoir le bureau exécutif, qu'il présente au parlement à savoir "Majless Choura" qui l'accepte ou pas et "qui a un pouvoir de contrôle".
    Ainsi, le Congrès a élu dimanche, les 2/3 du "Majless Choura" dans lequel se trouve des visages connus du parti à l'instar de Nouredinne Bhiri, Ali Laârayedh, Sadok Chourou ou encore Habib Ellouz. Le 1/3 restant, sera choisi par le président du parti.
    Une ouverture?
    Un des principaux changements était la place faite aux jeunes dans le cadre de ce Congrès a affirmé le porte-parole du parti, indiquant que celui-ci est composé de 30% de jeunes de moins de 35 ans.
    Il a par ailleurs affirmé que "plus de la moitié" du bureau du Congrès, chargé de guider sa conduite, était composé de jeunes.
    Cette évolution se traduit selon lui par une "ouverture aux jeunes, à la femme et à toutes les franges de la société".
    "Avant la révolution, il n'était pas facile de devenir membre du parti. Il y avait un processus qui prenait 2 ou 3 ans (...) Aujourd'hui, tout Tunisien ou toutes Tunisienne qui se voit adhérer au mouvement Ennahdha(...) sont les bienvenus" a affirmé Oussama Sghaier
    Si pour le porte-parole d'Ennahdha, l'ouverture du parti est un acquis, cela ne semble pas être le cas de tous les membres.
    Dans une intervention accordée à la radio Mosaïque FM, Habib Ellouz, membre du parti a annoncé que l'ouverture du parti ne voulait pas dire accepter tout le monde non plus excluant "ceux qui badinent avec la religion", "les buveurs d'alcool" et "les consommateurs de stupéfiants".

    Une séparation entre le politique et le religieux?
    C'est sous l'impulsion de M. Ghannouchi que le mouvement a officialisé ce week-end, au cours de son dixième congrès, la séparation entre ses activités politiques et religieuses, une mue en gestation depuis quelques années déjà.

    Ennahdha est un "mouvement tunisien qui évolue avec (...) la Tunisie et participe à son évolution", a dit à la presse dans la journée M. Ghannouchi.

    "Nous nous dirigeons de manière sérieuse (...) vers un parti politique, national, civil à référent islamique, qui oeuvre dans le cadre de la Constitution du pays et s'inspire des valeurs de l'islam et de la modernité", a-t-il ajouté.
    En gestation de longue date, cette distinction entre politique et prédication a été votée à plus de 80% des congressistes.
    Pour Hamza Meddeb, chercheur associé à l'Institut universitaire européen de Florence, "il n'y aura plus le mouvement Ennahdha de jadis construit sur un modèle frériste (des Frères musulmans, ndlr) avec des branches actives dans l'action sociale, éducative, caritative, religieuse et politique" a t-il indiqué à l'AFP.
    Il existe "chez (Rached) Ghannouchi la quasi-obsession de montrer aux partenaires occidentaux qu'Ennahdha, ça n'est pas les Frères", confirme une source diplomatique européenne à l'AFP.
    Prédicateur enflammé dans les années 1970, de retour d'exil à la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali en janvier 2011, M. Ghannouchi incarne ainsi cette nouvelle stratégie, qu'il est parvenu à imposer non sans mal à la base du parti.

    Pour la justifier, les dirigeants d'Ennahda l'ont présentée tout au long des derniers jours comme un signe d'adaptation et de modernité au regard du passage de la Tunisie à la démocratie.

    La Tunisie, cet homme malade



    'inquiétude est palpable en Tunisie chez tout le monde: les politiques, les milieux d'affaires, la société civile, les professionnels et chez l'homme de la rue.
    Jamais la confiance dans la classe politique et les partis n'a été aussi faible.
    Tout le monde s'accorde à dire que le pays manque de leadership politique, certains l'expliquent par le régime politique de la 2eme république et appellent à une révision de la Constitution et chacun selon ses préférences.
    Pourquoi n'avançons nous pas? Pourquoi l'impression générale est à l'immobilisme et que rien n'avance? Pourquoi n'arrive t-on pas à réformer le pays et à l'engager dans la voie du progrès et de la justice sociale? Pourquoi l'opinion publique tunisienne est déçue par la révolution et même par la démocratie? Pourquoi n'arrive t-on pas à insuffler l'espoir et la brise du changement? Pourquoi il n'y a pas de vrai débat politique sur les questions de fond?
    Autant de questions qui expliquent ce mal-être général dans le pays tant au niveau de l'opinion publique que des classes politiques ou les élites en général.
    Après cinq ans d'une "révolution" de plus en plus remise en cause, il est temps de nous regarder en face tels que nous sommes et pas tels que nous souhaitons qu'on soit et de poser franchement les raisons des blocages sur la table et d'en discuter sans agressivité, sans arrière pensées politiciennes pour le bien de notre pays et pour le succès de notre transition démocratique.
    La Tunisie est un homme malade... pour emprunter l'expression de Nicolas 1er à propos d'un empire ou plus rien n'allait plus.
    La Tunisie, cet État malade que nous n'arrivons pas à instaurer, et dont la construction d'ailleurs n'a jamais pu être achevée. (Et c'est autre débat tout aussi important).
    L'homme malade n'a ni la force d'insuffler le changement et de donner la direction, ni d'imposer la force de la loi à tous. Et il est au même moment sujet aux convoitises de ses sujets pour se disputer ses attributs et son pouvoir.
    Dans cette guerre pour le pouvoir ou ses attributs, l'intérêt du pays est en général le dernier souci des protagonistes soucieux d'avoir la plus grosse part du gâteau pour servir leurs intérêts propres.
    Dans ce climat, les questions de fond ne sont jamais soulevées. Il n'y a que des polémiques stériles destinées à affaiblir un adversaire, et jamais un débat d'union autour de ce qui est communément appelé "l'intérêt général".
    Le débat est nécessaire. Un débat franc sans langue de bois, sans faux fuyants.
    Un débat constructif afin d'explorer les raisons qui font que cet homme soit si malade et afin surtout d'explorer les pistes de sortie de crise.
    J'ai recensé cinq forces principales qui tiennent l'homme malade en otage:
    1. L'administration tunisienne, ce "big brother"
    On dit beaucoup de bien en général de notre administration, sa compétence, sa loyauté, mais on parle rarement de ses travers, populisme oblige.
    Oui nous avons la chance d'avoir la tradition d'une bonne administration loyale et compétente mais en contrepartie cette administration tient le pays d'une main de fer, elle régente tout, a un œil sur tout, règlemente tout et ne veut pas lâcher une once de son pouvoir.
    Habituée à diriger le pays à travers les seuls ministres issus de ses rangs (à quelques rares exceptions près), elle a du mal à accepter le leadership "politique" de ministres venus d'autres horizons -qui pour certains ne sont pas à la hauteur de la tâche assumons-le- .
    L'administration a perdu beaucoup de son rayonnement et de sa compétence mais pas de sa loyauté envers l'État et le pays.
    Les différents corps de métiers se mettent en mode "défense d'intérêts" et refusent tout changement et toute remise en cause.
    L'erreur est de désavouer le "politique", de le diaboliser même au détriment de ce qu'on va appeler les indépendants ou technocrates.
    L'approche est totalement fausse car dans toute démocratie, le projet est politique avant tout et doit être mené par des politiques, c'est leur responsabilité qui est engagée devant le peuple qui est le seul à les sanctionner par rapport à ses attentes.
    En bref, un gouvernement gouverne et une administration exécute.
    2. L'ARP, ce détenteur d'un pouvoir qui se veut absolu
    Nous avons voté une Constitution consensuelle qui définit les prérogatives de chaque pouvoir et qui a distribué entre le pouvoir exécutif (à deux têtes) et l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) l'initiative législative en donnant la priorité au premier.
    On constate aujourd'hui des blocages divers et même un blocage institutionnel qui fait que le gouvernement présente des lois (qui émanent dans la plupart des cas de l'administration, pas des partis politiques) a l'assemblée qui en fait ce qu'elle veut et va même jusqu'à le réécrire complètement.
    Exemple de blocage criant: Le projet de loi du Conseil supérieur de la magistrature, qui a duré des mois.
    Aucun projet de réforme économique ou social majeur n'a encore eu lieu, une année après.
    On a vu aussi récemment des réformes (et encore) passer sous la pression étrangère, ce qui est un très mauvais signal à donner.
    Ce blocage est institutionnel et trouve ses origines dans la volonté de l'ARP de gouverner et de régenter la vie politique du pays et de dénier au gouvernement le droit d'engager sa responsabilité dans les projets de loi socio-économiques.
    Notre Constitution est un mélange non réussi de partage des pouvoirs par la pratique.
    Les blocs parlementaires des partis de la coalition gouvernementale comprennent que chaque projet de loi doit être "re-travaillé et ré-écrit" par l'assemblée.
    La commission du consensus est un échec institutionnel en soi. Ceci engendre des bagarres, des délais et surtout un blocage institutionnel grave dont personne ne veut parler.
    Le gouvernement ne défend ses projets de lois que timidement en l'absence d'une disposition constitutionnelle d'engagement de la responsabilité gouvernementale.
    Le manque de leadership politique n'a pas permis de trouver les compromis nécessaires à un pays qui a besoin de se réformer en profondeur et vite.
    3. Le rôle des partenaires sociaux.
    Les partenaires sociaux ont un rôle politique à jouer. Bien entendu.
    La défense des intérêts des travailleurs, des agriculteurs et des chômeurs est politique et le rôle des syndicats est primordial afin de rétablir un équilibre entre les différents acteurs économiques et sociaux.
    Toutes les revendications sociales ont une incidence politique et donc séparer le politique du syndical est une hérésie.
    Sauf qu'en l'absence d'un État fort, on constate une dérive pour revendiquer la co-gestion et même la gestion.
    Plusieurs secteurs, plusieurs entreprises publiques et plusieurs régions sont des lieux de combats publics pour le pouvoir où les syndicats dépassent largement les prérogatives qui sont les leurs.
    La non institutionnalisation du dialogue social en est une cause principale mais pas la seule.
    La situation sociale est intenable par le niveau de précarité au delà de l'acceptable et qui touche plus des trois-quarts de la population et aussi par le niveau alarmant des inégalités dans le pays.
    4. Des lobbies qui veulent toujours gouverner
    Il ne faut pas tomber dans les simplifications et l'esprit complotiste mais il est clair que l'esprit corporatiste n'arrive pas à se hisser au niveau des aspirations d'un peuple qui veut le partage du "pouvoir symbolique".
    La Tunisie comprend comme tous les pays - quoique d'une manière parfois très caricaturale - toutes les catégories des "gouvernants de l'ombre".
    Cela va des faiseurs de rois, qui se croient toujours indispensables pour faire fonctionner la machine, qui se donnent de l'importance par la connivence de l'opportunisme ambiant aux détenteurs du pouvoir économique et financier, qui sont là aux aguets pour protéger leurs intérêts.
    Cela concerne aussi les détenteurs du "pouvoir symbolique", des familles qui croient que leur sang bleu leur donne le statut de propriétaires d'un pays à protéger de la convoitise des locataires un peu trop nombreux à leurs yeux, aux différents corporatismes plus soucieux de protéger leurs privilèges que de se remettre en cause.
    Enfin n'oublions pas, les "derniers puissants" devenus puissants par la seule grâce d'un État faible.
    5. Un État défaillant et un leadership politique absent
    Cet homme ne serait pas malade s'il n'était pas aussi faible.
    On pourrait même dire que le pouvoir est à terre. Et les marques de la faiblesse de l'État ne font que grandir et irriter la grande majorité des citoyens soucieux de retrouver un tant soi peu cette tranquillité d'un État fort et qui fait appliquer la loi.
    Or il n'est toujours pas aussi simple d'expliquer aux gens qu'un État fort est aussi un État juste.
    Plusieurs raisons font que l'État est défaillant, et plusieurs raisons expliquent l'absence de leadership.
    La principale étant la manière choisie de concevoir et d'appliquer la Constitution pour choisir un gouvernement de coalition qui in fine n'en est pas un.
    La faiblesse des partis politiques et leur effritement sont la principale cause de ce manque de leadership politique, et on peut dire sans trop de risques que nous sommes revenus à une situation de déséquilibre politique similaire à 2011.
    Depuis 2011, la Tunisie a été gérée grâce à un consensus politique plus ou moins large qui a évité aux pays certains écueils , ce qui est une partie positive dans le processus de transition démocratique et qui a mené à l'élaboration d'une Constitution globalement acceptée par tous.
    Seulement, le pays ne peut plus être gouverné par le consensus car par définition il est mou puisque le dénominateur commun ne peut être que minimaliste.
    Le pays ne pourra être gouverné que par le compromis entre les différentes forces agissantes et celles qui se disputent le pouvoir avec comme objectif majeur: Instaurer l'État.
    Le compromis consiste à ce que chaque partie prenante fasse des concessions et obtienne quelque chose en retour.
    Le garant de ce compromis à mon sens ne peut être que l'institution de la présidence de la République dans son rôle extra constitutionnel autour d'une table qui comprend les trois présidences, les présidents des partis de la coalition et les premiers responsables des organisations nationales majeures.
    Les pistes de la sortie de crise existent et sont simples à mettre en œuvre dans un pays comme le notre, moyennant une classe politique renouvelée qui porte un projet national d'instauration d'un État démocratique, moderne et égalitaire et sa gouvernance nécessaire pour donner un nouvel espoir au pays et à ses jeunes.
    Le reste, tout le reste suivra.
    http://www.huffpostmaghreb.com/faouzi-ben-abderrahman/la-tunisie-cet-homme-malade_b_10106830.html?ncid=fcbklnkfrhpmg00000005

    La Ghriba de Djerba



    La Ghriba de Djerba

    La Ghriba est l’âme et le ciment de la plus ancienne communauté juive du Maghreb, la seule qui, résistant aussi bien à l’assimilation qu’à l’émigration vers Israël ou vers la France, réussit à vivre, aujourd’hui encore, suivant des coutumes et des rites anciens de plusieurs millénaires. Dans le temple au murs carrelés de céramiques à dominante bleue et blanche, des rabbins vêtus du costume djerbien traditionnel - le pantalon bouffant ou sarouel gris, bordé d’un bandeau noir, signe de deuil en marque d’exil, la chechia posée à l’arrière du crâne pour signaler leur différence - psalmodient toute la journée en hébreu et en araméen pour maintenir les vibrations spirituelles du lieu de culte. La deuxième pièce, celle où se trouve la Sefer Thora (les tables de la loi) et où l’on célèbre le shabbat, est si sacrée que l’on doit se déchausser pour y entrer. Même les quelques touristes de passage, semblent y éprouver une forme subtile d’exaltation mystique.
    La veille de la procession, les pèlerins affluent. Ils viennent de Tunis, de Paris et du monde entier. Dès le matin, ils allument des bougies pour tous les êtres chers qui n’ont pas pu les accompagner. Les rabbins récitent des prières et bénissent des fruits secs, symboles d’abondance et de fertilité, et de la Boukha, eau de vie de figue, qui sont ensuite distribués à la ronde. Cette coutume qui accompagne la visite des lieux saints en Afrique du Nord est d’ailleurs partagée par les musulmans.
    Parmi tous les lieux de culte d’Afrique du Nord, la Ghriba est considéré comme le plus sacré. “C’est l’antichambre de Jérusalem”, entend-on souvent dire à Djerba. Selon la tradition orale des rabbins de Tunisie, l’histoire de ce lieu saint remonterait à la destruction du premier temple de Jérusalem par le roi Nabuchodonosor, en 565 avant l’ère chrétienne. Les serviteurs du temple, les Cohanims (pluriel de Cohen), ayant échappé au massacre, réussirent à emporter l’une des portes (ou était-ce une dalle ?) du temple. Ils s’enfuirent en bateau, en suivant la route (où étaient-ils simplement poussés par les vents ?) des Phéniciens bâtisseurs de Carthage, et celle d’Ulysse qui, retenu à Djerba par des fleurs enivrantes, lui avait donné le nom d’Ile des Lotophages.
    Les Cohanims choisirent donc cette île aux mille fééries qui, croulant sous les arbres fruitiers, néfliers, pêchers, figuiers, évoquait pour eux le jardin d’Eden. Ils y battirent la première synagogue d’Afrique sous laquelle ils célèbrent la précieuse relique du temple. La synagogue actuelle, érigée au siècle dernier, le fut sur le même emplacement. Rejoints au fil des siècles par les descendants des autres tribus d’Israël, les juifs de Djerba convertirent au judaisme les tribus berbères locales - dont la plupart seront ultérieurement islamisées par les Arabes. Le mot Ghriba signifie l’étrangère, l’étonnante, la solitaire. Une autre légende dit que la synagogue devrait son nom à une très belle femme venue de nulle part, qui aurait installé sa hutte à peu de distance du village juif de Hara Sghira. Cette femme aurait été entourée d’une aura de sainteté et elle aurait eu des dons miraculeux de guérison. Elle ne fut cependant jamais totalement acceptée par la communauté. Un jour, les villageois crurent voir un feu du côté de sa hutte, mais ils n’intervinrent pas, de peur qu’elle ne se livre à des activités de sorcellerie. Le lendemain, ils trouvèrent l’étrangère morte dans sa hutte détruite par les flammes, mais son corps était intact. Les villageois, regrettant leur attitude auraient alors bâti la synagogue sur l’emplacement de la hutte et le pouvoir miraculeux de l’étonnante étrangère, agirait toujours. Mais officiellement, le pèlerinage célèbre l’anniversaire de la mort de deux éminents rabbins kabbalistes : Rabbi Meyer Baal Nich, homme de miracles, et Rabbi Shiméon Bar Yohai, à qui les juifs d’Afrique du Nord attribuent l’un des commentaires du Zohar - le livre des Splendeurs -, l’un des grands ouvrages de la mystique juive.
    La Ghriba est située près du “petit quartier juif”, Hara Sghira, où vivent près de cinquante familles, les descendants des Cohanims qui presque tous travaillent à la Ghriba. Les descendants des autres tribus d’Israël - ils sont encore plus de huit cents - vivent à Hara Kebira, le “grand quartier juif”, situé dans la banlieue d’Houmt Souk.
    Il y a quelques années, ces derniers exerçaient encore de nombreuses professions, à Djerba : il y avait des moulins à grain mus par des chameaux, un tisserand pour les taleths, une imprimerie très active. Aujourd’hui, à part un teinturier, quelques tailleurs et quelques menuisiers, les juifs de Hara Kebira sont tous orfèvres. Les deux communautés vivent séparées. Les juifs de Hara Kebira, qui sont plus riches et se considèrent comme plus au fait de la religion que leurs cousins de Hara Sghira, ne viennent à la Ghriba que pour le pèlerinage et les mariages. Le reste de l’année, ils consacrent beaucoup de temps à l’étude des textes sacrés dans les nombreuses petites synagogues de leur quartier qui compte encore trois yeshivot (écoles religieuses).
    Rites et coutumes
    Les femmes stériles, ou celles qui veulent se marier, déposent, en faisant un vœu, un œuf cru dans le soubassement creux, derrière le tabernacle qui contient les Tables de la loi - pour certains, ce serait l’emplacement de l’ancienne porte du Temple de Jérusalem, pour d’autres celui de la hutte de l’étrangère. Les œufs restent là toute la nuit, cuisant à la chaleur des bougies, et les femmes les mangent le lendemain matin en invoquant la sainte Ghriba. Celles dont les vœux ont étés exaucés, reviennent ensuite chaque année avec leur progéniture. 
    La Procession
    Le matin de la procession, pèlerins et Djerbiens sont tous réunis dans l'oukala, le caravensérail en face de la synagogue, où se sont installés le temps des festivités un restaurant cacher, un marchand de briks à l’œuf, un épicier... et où sont logés les pèlerins les plus pauvres. Les jeunes Djerbiennes habillées à l’européenne, sont très élégantes avec leurs petits chapeaux assortis à leurs tailleurs, mais leurs mères portent encore le costume traditionnel : la fouta, le voile blanc, et la coiffe rouge qui ressemble à une pégase grecque. Toutes portent le chapeau, car pour les juifs pratiquants, la chevelure d’une femme mariée, c’est sa nudité.
    Les hommes ont passé la nuit à lire le Zohar, le grand livre de la mystique juive. Au petit matin, ceux de la communauté ont sorti la Ménara, une pyramide hexagonale en argent dans laquelle sont inscrits les noms des douze tribus d’Israël et ceux des rabbins renommés de Tunisie. Les Tables de la Loi en argent et le nom de Dieu “Sheddai”, gravé dans l’étoile de David, couronnent l’édifice. Les femmes aspergent la Menara d’eau de cologne, les hommes d’eau de vie. Le privilège de porter la Ménara, ne serait-ce que sur quelques mètres, fait l’objet d’enchères passionnées. Les enchères terminées, la procession quitte le fondouk dans la liesse. “La Menara est semblable à la jeune fille sur le point d’être conduite à son époux. On l’appelle “la mariée”. On la conduit jusqu’à l’une des petites synagogues ou Yeshiva de la Hara Sghira, et l’on célèbre le mariage mystique de la communauté avec son Seigneur”. La musique de l’orchestre et les youyous sensuels des femmes escortent cette marche nuptiale.
    On entend des “Ziera Makboula !” - “Que cette visite te soit prospère, que tes vœux soient exaucés” -, tandis que le vieux musicien B’chini chante en judéo-arabe, la chanson de la Ghriba, en s’accompagnant au luth : “Je viens te demander quelque chose, je ne veux pas revenir sans rien recevoir de toi”. Et les jeunes filles, jadis proscrites de la procession et recluses sur les balcons, entourent la Menara de leurs bras amoureux.
    http://www.harissa.com/news/article/la-ghriba-de-djerba