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    lundi 23 mai 2016

    Quoi qu’ils fassent, les islamistes d’Ennahdha n’inspirent pas confiance



    Le congrès d’Ennahdha s’est achevé avec un résultat qui ne surprend personne, Rached Ghannouchi a été réélu pour cinq ans à la tête du parti islamiste.
    Pour la forme, et en apparence, le congrès s’est très bien déroulé. Tout observateur non avisé, notamment parmi les étrangers, dira que la démocratie au sein de ce parti est respectée et que le vote, par tablettes, n’a rien de suspect. Rares sont les partis où l’on peut se targuer d’une telle performance. Quand on pense aux conflits post-dépouillements dans les élections internes françaises entre Martine Aubry et Ségolène Royal (Congrès de Reims du PS, novembre 2008) ou entre Jean-François Copé et François Fillon (Congrès de l’UMP, novembre 2012), on se dit qu’Ennahdha devient un modèle démocratique même pour les démocraties dites avancées.
    Ce discours sur la forme et l’apparence est parfait pour que les Nahdhaouis le servent à leurs amis et aux médias internationaux. De même, les Nahdhaouis peuvent dire et convaincre leurs amis étrangers et les médias internationaux qu’ils ont séparé l'activité prosélyte du travail politique.
    A Tunis, cependant, on regarde les choses autrement. Le parti islamiste est observé avec beaucoup de méfiance et suspicion. « On ne nous la fait pas, nous ne sommes pas des pigeons », entend-on un peu partout à propos d’Ennahdha, de son congrès et de ses motions. En clair, quoiqu’ils fassent, quoiqu’ils disent, les islamistes d’Ennahdha n’arrivent pas à inspirer confiance auprès d’une population hostile à l’islamisation du pays et à leur mode de vie.

    Dans son discours à l’ouverture du congrès, vendredi dernier, le président de la République Béji Caïd Essebsi figure parmi les premiers suspicieux. Si son message global est accueillant et positif, il n’en demeure pas moins que ses messages entre les lignes reflètent que la confiance ne règne toujours pas. « J’espère vraiment que vous réussissez, dans vos travaux, à insister à dire qu’Ennahdha est devenu un parti civil tunisien, en fond et en forme, loyal à la seule Tunisie et que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, a déclaré le chef de l’Etat aux congressistes. (…) On espère que vous prouverez tout cela à travers les motions et j’espère que vos travaux insistent sur le fait qu’Ennahdha tire ses spécificités du modèle sociétal tunisien et prenne en considération uniquement ce modèle socio-politique tunisien, sans aucun autre, lorsqu’elle décide de ses politiques ».
    Béji Caïd Essebsi se présente avec des a priori positifs, mais il espère quand même des faits concrets et attend des preuves. Son scepticisme n’est pas né de rien et il n’est pas le seul à se méfier et à prendre cette distance de prudence.
    Intervenant au lendemain du démarrage du congrès, la journaliste et militante de gauche Naziha Rjiba (alias Om Zied) tire une sorte de sonnette d’alarme : « le discours de Ghannouchi est un véritable hold-up de nos idées et de nos revendications pour lesquelles nous avons été combattus et traités de mécréants quand on les lui a opposés à l’époque de la troïka à un moment où il était grisé par le pouvoir. En novembre 1987, Ben Ali a usé du même stratagème. Pour remplir son discours mensonger, il a volé toutes les idées et tous les projets de l’élite nationale, qu’il combattait. La faute n’incombe ni à Ghannouchi, ni à Ben Ali, mais à cette élite qui s’arrête sur les slogans sans avoir les moyens de mettre en pratique ses idées et sans pouvoir les protéger du vol et de la manipulation ».
    Même suspicion chez l’universitaire Neïla Sellini qui attire l’attention sur le jeu de mots d’Ennahdha : « la crédulité des gens me fait peur. Quand Ghannouchi dit séparer le religieux du politique, il n’a pas dit abandonner le religieux, il a dit séparer. C'est-à-dire qu’Ennahdha a aujourd’hui deux ailes, l’une pour s’occuper du politique et l’autre du religieux » L’universitaire compare les deux ailes d’Ennahdha aux deux tranches d’un sandwich entre lesquelles on place des ingrédients. Et de conclure en toute ironie : « Dormez tranquillement ! »

    En réponse à toutes ces critiques et suspicions, les différents leaders d’Ennahdha crient en chœur : « C’est un procès d’intentions et vous devriez prendre acte de toute cette bonne volonté pour vous convaincre que nous avons changé ! Vous n’avez pas le droit de continuer à nous considérer comme des pestiférés, nous sommes des Tunisiens autant que vous !».
    Si l’on ne peut pas exclure qu’il y a une dose de mauvaise foi chez les suspicieux, il est bon aussi de rappeler que cette suspicion n’est pas née du néant. Si certains évoquent le passé plus ou moins lointain pour la justifier (Om Zied), d’autres évoquent le passé récent (comme le militant Karim Baklouti Barketallah dans sa tribune hier sur Business News) et le présent.
    « Le congrès est grandiose, tellement grandiose qu’on peut le considérer comme stalinien », commente l’analyste Sofiene Ben Hamida.
    Au vu des résultats quasi-soviétiques des votes, on ne saurait en effet penser le contraire.Rached Ghannouchi est élu avec 75,6% des voix et les motions sont adoptées avec des pourcentages oscillant entre 71,9% et 91%. « Avec ces chiffres à la Bourguiba et Ben Ali, on peut dire qu’Ennahdha s’est bien tunisifiée », ont ironisé plusieurs d’ailleurs.
    On parle de votes transparents avec tablettes et une véritable démocratie et ceci est vrai. Mais cette démocratie nous rappelle la démocratie iranienne où l’on sélectionne drastiquement, et à l’avance, les électeurs et les candidats.
    Rached Ghannouchi a beau parler de la séparation entre le religieux et le politique, plusieurs membres du majlis choura et parmi ses députés continuent encore à assurer ce mélange. Pour eux, le religieux continue (et continuera) à primer sur le civil. La preuve, le refus catégorique des députés islamistes du projet de loi relatif à l’égalité de l’héritage qui se voulait, pourtant, conforme à la Constitution et respectueux de la civilité de l’Etat.
    Même les « intellectuels » et les « penseurs » proches ou membres d’Ennahdha demeurent fidèles à leur conservatisme religieux et oublient carrément leur civisme quand on les met face à leurs propres contradictions. Exemple type, Radwan Masmoudi qui se présente comme défenseur des libertés et  chantre de la cohabitation entre islam et démocratie, mais n’hésite pas pour autant à insulter et dénigrer ceux qui défendent un mode de vie différent de sa vision. Ses positions homophobes, sa misogynie et ses attaques contre les médias anti-islamistes n’ont jamais baissé de fréquence.

    Si l’on se tenait à la théorie et aux belles paroles d’Ennahdha, le plus extrémiste des laïcs voterait pour le parti islamiste. Mais quand on voit les pratiques au quotidien, l’hostilité camouflée dans les manifestations publiques et dégagée dans leurs sphères privées (pas si privée avec leurs pages Facebook infiltrées) et un masque qui tombe à chaque grande occasion, on a du mal à croire en la transformation réelle des islamistes d’Ennahdha.
    En dépit de tous ces procès d’intention et de toutes ces suspicions, il est un fait indéniable que les autres partis doivent prendre en considération en priorité : Ennahdha est aujourd’hui le parti le plus structuré, le plus organisé et, surtout, le plus discipliné. Que les islamistes soient sincères ou hypocrites, ils sont incontestablement les plus forts sur la scène.
    Face à une opposition crédule, divisée et affaiblie, ils risquent demain de prendre le pouvoir et feront, dès lors, tout pour ne plus jamais le quitter en appliquant ce qu’ils veulent appliquer, que ce soit le Coran ou la Constitution. Ils seront les seuls maîtres à bord.
    Ce jour-là, les suspicieux d’aujourd’hui pourront crier « Nous vous avons prévenus, on les connait ! », mais il sera déjà trop tard.
    Alors, plutôt que de s’occuper d’Ennahdha, de sa sincérité prétendue et de son hypocrisie supposée, les autres partis ont intérêt à se mettre à son niveau pour pouvoir l’affronter au moment des élections. 

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