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    lundi 5 février 2018

    Dr Slaheddine Sellami - Nouveaux hôpitaux, nouvelles cliniques : les fausses pistes de la politique de santé en Tunisie

    Dr Slaheddine Sellami - Nouveaux hôpitaux, nouvelles cliniques : les fausses pistes de la politique de santé en Tunisie
    Une série de fausses pistes risquent d’embarquer la stratégie de santé en Tunisie sur des dérapages préjudiciables. L’excitation des décisionnaires politiques à promettre et lancer de nouveaux hôpitaux, de grandes capacités, partout dans le pays, en est un bel exemple. Encore, plus édifiant, s’agissant de projets qui n’obéissent à aucun critère sérieux quant à la nécessité, la taille et la vocation. D’un autre côté, la frénésie de promoteurs privés à édifier de nouvelles cliniques, sans s’insérer dans une vision globale ou répondre aux vrais besoins d’une médecine nouvelle et d’un autre type de prise en charge des patients, nous interpelle elle aussi. S’obstiner à ne pas regarder la réalité en face, et persister dans des erreurs stratégiques plomberont lourdement le secteur.
    J’ai longtemps hésité à partager avec vous mes réflexions sur ces questions. Mais, mon attachement à ce secteur auquel j’ai consacré toute ma vie active depuis mon jeune âge d’étudiant en Médecine, puis toute ma carrière hospiatlo-universaitaire et à présent en libre pratique, m’a incité à ouvrir ce dossier et lancer avec vous le débat indispensable.
    Partout dans le monde, on assiste à la fermeture de services hospitaliers et même d’hôpitaux entiers, pour allouer les moyens à d’autres. C’est ainsi qu’en France 10 000 lits d’hôpital ont disparu. La tendance en Tunisie est à l’inverse. On relève, ces dernières années, des annonces quasi-quotidiennes de construction de nouveaux hôpitaux. Ceux qui tiennent ces promesses et oeuvrent à leur réalisation n’ont en fait d’autres scoucis que de plaire aux populations, à certains professionnels ou aux élus. Il ne tiennent nullement compte de la rentabilité, de l’intérêt ou de la dimension appropriées de ces hôpitaux. 
    Ces trois données fondamentales qui justifient pareils projets, n’ont jamais été rigoureusement évaluées par les décisionnaires. De toute manière, ils savent bien qu’ils ne seront probablement pas en fonction, à la tête du ministère, le jour où il faudra trouver les moyens nécessaires au fonctionnement de ces hôpitaux . 
    On a ainsi promis à la volée un hôpital à Sfax, à Gafsa, à Kairouan, à Gabès, à Sidi Bouzid et sur le Grand Tunis un nouvel hôpital d’enfants et un nouveau centre de carcinologie, sans compter les dizaines d’hôpitaux régionaux dans presque tous les gouvernorats, parfois à quelques kilomètres les uns des autres.
    Pourtant, les expériences malheureuses du passé, nombreuses, sont édifiantes. Ceuxqui sont de ma génération se rappelleront toujours le cas de l’hôpital militaire de Tunis. Initialement conçu pour être un hôpital civil mais une fois prêt, le ministère de la santé s’est rendu compte qu’il était dans l’incapacité de le faire fonctionner et que seuls les militaires ont pu le faire après des effots colossaux. Nombre d’autres hôpitaux ont été construits, mais ont dû rester fermés pendant plusieurs mois, voire quelques années, faute de moyens matériels et humains pour les faire fonctionner. 
    Il est évident que les besoins dans toutes les régions de l’intérieur sont énormes et que le devoir du pouvoir politique est de rapprocher une offre de soins de qualité à tous les citoyens où qu’ils soient . Cette offre de soins doit, cependant, être faite avec beaucoup de réalisme et éviter le populisme. 
    Tous les professionnels de la santé ont critiqué la politique qui consiste à distribuer sous la pression des moyens sans que cela corresponde à une politique globale.
    L’exemple le plus parlant est celui des scanners de dernières générations et IRM mis dans différents hôpitaux alors que ces hôpitaux ne disposent même pas de radiologues. Les régions de l’intérieur et en particulier les régions défavorisées doivent rester la grande priorité du ministère de la Santé, mais la finalité de toute politique de santé doit être le patient et l’amélioration des soins. 
    Ce n’est certainement pas en construisant des hôpitaux que l’on va améliorer les soins prodigués aux patients. Pour les Tunisiens, l’important, c’est de trouver le personnel médical et para médical nécessaire pour s’occuper de leur pathologie, les équipements adéquats pour les explorer et assurer leur traitement ainsi que les médicaments indiqués. Constater qu’on a construit un hôpital , souvent avec des crédits étrangers que nous serons amené à rembourser, sans que cela ne se traduise par une meilleure prise en charge de leur état, ne fera qu’accentuer la frustration de nos concitoyens de ces régions.
    Factuellement, les chiffres sont têtus. Le taux d’occupation des lits dans les différentes régions du pays, en dehors des CHU, est alarmant. Il avoisine les 25% dans les hôpitaux de circonscription et ne dépasse pas les 45% pour les hôpitaux régionaux. Certes ces chiffres sont expliqués, entre autres facteurs, par le manque de médecins spécialistes dans ces régions, mais est-il judicieux de construire encore plus d’hôpitaux qui resteront vides ? Comment alors faire concorder les ressources humaines existantes et les infrastructures avec les besoins en l’absence d’une vision ? Ceci est d’autant plus difficile que les mutations démographiques, économiques, et culturelles feront que les besoins et les attentes des citoyens sont appelés à évoluer et continueront à le faire, mais vers une demande d’une médecine différente, une médecine de ville, autrement dit une médecine ambulatoire. Le temps des hospitalisations de 10 ou 15 jours dans des services de 60 et 80 lits est révolu. Les services actuels sont plus petits mais dotés de moyens d’exploration et de traitements plus performants. 
    Les priorités ont changé et il faut l’intégrer. Ceci imposera forcément une redistribution des moyens, toujours insuffisants, vers d’autres structures de santé que l’hôpital. Les moyens doivent être alloués aux équipements, au transport des malades et aux ressources humaines plutôt qu’aux bâtiments .Ne serait-il pas plus judicieux de commencer par améliorer et mettre à niveau les bâtiments existants ? 
    Les hôpitaux de 300 ou 400 lits ne correspondent plus à nos besoins. Il est clair qu’une approche des questions de santé centrée sur les besoins du citoyen ne passe pas par l’édification d’hôpitaux, elle ne peut qu’être globale et doit tenir compte de l’offre de soins qui existe déjà dans toute la région.
    Une frénésie de construction de clinique, sans stratégie. Dans un pays, l’offre de soins relève d’une démarche globale, incluant le développement du secteur privé qui doit faire partie de la donne. En intégrant les projets en cours de construction, on estime que le nombre de lits dans le secteur privé va passer à 12.500 , alors qu’il n’était que de 5000 lits en 2014. On assiste depuis 2015 à une course effrénée à la construction de nouvelles cliniques. L’absence de stratégie, la libération de l’acquisition des équipements lourds, qui étaient jusque-là soumis à des normes expliquent en partie cette inflation. Fonder une stratégie sur le malheur actuel de nos voisins, surtout libyens, me semble être dangereux et on peut le comparer aux problèmes des différentes unités touristiques qui sont confrontées à des difficultés économiques importantes qui ont obligé l’Etat à intervenir. 
    Plutôt des maisons de repos que des hôpitaux. La médecine d’aujourd’hui nous pousse à allouer les ressources vers des plateaux techniques performants, vers la prévention, vers les personnes agées. On a plus besoin de maisons de repos et de centres de réhabilitation que de nouveaux lits d’hôpital.
    De vieux logiciels de décision, obsolètes. A l’heure où nous mettons en œuvre la réforme de médecine de famille, il est inconséquent de continuer à raisonner de la même façon que dans les années 80. L’hospitalo-centrisme a fait des dégâts énormes à tous les systèmes de santé qui n’y ont pas pris garde. Pour mémoire et à l’heure où l’on ne parle pèle mêle que de déterminants sociaux de la santé, d’augmentation de l’espérance de vie, de couverture médicale universelle et bien sûr de déficits de la CNAM, nous constatons que le budget consacré à toutes les formes de prévention chez nous ne dépasse pas 4.5% ! Ce n’est pas avec ces nouveaux projets d’hôpitaux que les choses changeront dans le bon sens, sauf à consacrer 20% du PIB à la santé, ce qui n’est pas évidemment réaliste.
    Le plus important n’est pas de construire des hôpitaux. Il est impératif de réaliser que l’édification d’un hôpital et son équipement sont la partie la plus facile du projet (d’ailleurs une bonne partie du financement de ces projets vient de l’étranger) ! Les exemples ne manquent pas, le budget de fonctionnement d’un hôpital à très court terme peut devenir problématique, il n’y a qu’à voir l’endettement de nos hôpitaux  estimé à plus de 260 milliards. Les conséquences de ces déficits sur toutes les structures sont énormes, l’exemple de la Pharmacie Centrale nous vient immédiatement à l’esprit. Une entreprise qui a toutes les chances de faire des bénéfices mais, faute d’être payée par les structures publiques ( hôpitaux , centres de santé de base mais aussi CNAM dont les dettes auprés de la PCT dépassent 700 milliards), elle pourrait se retouver dans l’incapacité de payer ses fournisseurs avec un risque pour la disponibilité des médicaments aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. 
    Ces quelques lignes n’évoquent qu’une toute petite partie des problèmes de la santé. C’est leurs coûts exorbitants et la nécessité de prendre des mesures urgentes avant qu’il ne soit trop tard qui me poussent à les évoquer maintenant.
    Dr Slaheddine Sellami

    Pour le magazine britannique The Economist, l'UGTT empêche la Tunisie d'avancer

    UGTT

     |  Par
    "L'Union Générale Tunisienne du Travail, prix Nobel de la paix, empêche la Tunisie d'avancer", tel a été le titre d'un article publié par le magazine britannique The Economist.
    Dépeignant l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) comme un organisme jouant un rôle majeur dans la vie politique tunisienne, notamment par sa participation dans la lutte pour l'indépendance, dans la chute du régime Ben Ali, ou encore par sa médiation lors de la crise de 2013 qui lui a valu le prix Nobel de la paix, The Economist estime néanmoins que l'UGTT est également au cœur des problèmes économiques de la Tunisie.
    Selon l'article, elle représenterait l'un des plus grands freins à la croissance du pays, principalement à cause de la bureaucratie qu'elle soutient. The Economist parle d'ailleurs de la vague de recrutement dans la fonction publique, survenue après la révolution, qui avait engendré une masse salariale représentant près de 14% du PIB, parmi les pourcentages les plus élevés au monde.
    Toujours selon le magazine britannique, l'UGTT se serait battue contre les tentatives de réduction des dépenses du gouvernement, appelant souvent la privatisation des institutions comme "une ligne rouge" selon The Economist. Il estime également que cette politique aurait nuit au pays souvent en proie à des grèves et des protestations, dans une période où une union nationale s'impose.
    Ces appels à la grève, The Economist en cite plus d'un; notamment l'appel en 2013 à des manifestations anti-gouvernementales, la fermeture en 2016 du service postal durant plusieurs jours pour protester contre la façon avec laquelle un fonctionnaire aurait été traité, ou encore les menaces en décembre dernier qui avaient forcé le gouvernement à abandonner le gel des salaires dans le secteur public en 2017.
    The Economist estime que les syndicats sont particulièrement puissants dans les régions intérieures de la Tunisie. Il prend l'exemple de la région de Gafsa, centre de l'industrie du phosphate.
    "La Tunisie était autrefois le cinquième plus grand exportateur de phosphate. Après la révolution, les syndicats ont appelé à la grève et exigé plus d'emplois. Ainsi, l'usine de Gafsa avait embauché 2500 nouveaux employés en l'espace de 3 ans, ce qui a fait augmenter l'effectif de 51%. Mais les grèves se sont poursuivies et la production est passée de 8 millions de tonnes en 2010 à seulement 3,3 millions en 2013. L'industrie n'a pas encore récupéré" lit-on dans l'article.
    Selon The Economist, les dirigeants syndicaux soutiennent les protestations car ils estiment que sans les grèves, le gouvernement continuerait à négliger les régions intérieures, citant le secrétaire général de l'UGTTNoureddine Tabboubi, qui aurait déclaré: "Nous sommes devenus un exportateur du terrorisme. Quelque 6000 Tunisiens ont rejoint Daesh. Beaucoup d'entre eux viennent des mêmes régions pauvres qui s'étaient sont soulevées contre la dictature de Ben Ali".
    S'agissant de l'engagement du gouvernement tunisien envers les exigences du FMI par rapport à la réduction de la masse salariale dans la fonction publique, le magazine revient sur l'échec des réformes entreprises, qualifiant le taux cible qui est de 12% du PIB, de "toujours aussi élevé, et impossible à réaliser".
    Mais pour le magazine britannique, l'UGTT a prouvé qu'elle peut faire preuve de pragmatisme. Selon The Economist, l'un des plus gros handicaps budgétaires de la Tunisie est le système de retraite, qui affiche un déficit de 1,1 milliard de dinars, soit 65% de plus qu'il y a deux ans. Des réformes "timides" avaient été effectuées par les différents gouvernements, notamment la proposition de faire passer l'âge de la retraite de 60 à 62 ans, chose que l'UGTT avait toujours refusé. "Mais en octobre, leur résistance à cette réforme a reculé" lit-on dans l'article du magazine, citant par l'occasion le conseiller économique du chef du gouvernement, Lotfi Ben Sassi qui aurait déclaré à propos de l'UGTT: "Quand ils ont l'occasion, ils mettent la pression au gouvernement, mais là, ils reconnaissent le problème que pose le système de retraite. La Tunisie a souvent besoin d'eux".
    L'article parle aussi de la persécution régulière dont aurait été victime l'UGTTpendant les 54 ans qui avaient suivi l'indépendance, estimant que celle-ci est néanmoins restée influente dans la politique tunisienne.
    Il revient également sur les événements de Tataouine (El-Kamour) et la population locale qui pense que leur ville devrait être "une ville prospère", au lieu d'une ville "poussiéreuse", qui plus est, proche des réserves de pétrole et de gaz du pays.
    Le sit-in qui avait duré plusieurs mois et bloqué la production de pétrole, avait pris fin par un accord, grâce à la médiation de l'UGTT qui avait abouti par un accord signé entre le gouvernement et les manifestants.
    Le rôle majeur de l'UGTT dans cet accord a beau avoir été salué, The Economistestime toutefois qu'il s'agit d'une mauvaise politique, car "la compagnie pétrolière de l’État a perdu de sa rentabilité. Au cours de la dernière décennie, sa production a chuté de 29%, même si sa main-d'œuvre a augmenté de 14%". Selon l'article, même si l'accord signé avait poussé le gouvernement à demander aux entreprises pétrolières et gazières privées d'embaucher environ 1500 personnes de la région, ces recrutements restent quand même inutiles puisque "ces compagnies n'ont pas vraiment besoin de travailleurs supplémentaires".
    "Même Nawara, un projet qui devrait augmenter la production annuelle de gaz de 25% à partir de l'année prochaine, ne nécessite pas plus de 200 employés à plein temps" estime The Economist.