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    jeudi 25 août 2016

    Critique : Chouf – Le monde ou rien

    Critique : Chouf – Le monde ou rien




    Sofiane, étudiant à Lyon, revient à Marseille pour des vacances. Il y retrouve sa famille et ses amis de toujours. Lorsque son frère Slim se fait assassiner par des rivaux en bas de son bâtiment, Sofiane décide de reprendre son trafic de drogue, déterminé à trouver l’identité du meurtrier et à se venger.
    S’il a la volonté de montrer la réalité des quartiers nord de la Cité phocéenne, Chouf ne verse jamais dans le politiquement correct ou la provocation. Il ouvre le débat avec justesse comme certaines œuvres de Spike Lee ou Mathieu Kassovitz ont pu le faire dans le passé. Sofiane a plusieurs possibilités et fait le choix d’enquêter seul sur la mort de son frère. Karim Dridi expose toutes les options du héros, qu’elles soient positives ou négatives, avant de nous montrer les conséquences de ses décisions.
    Le réalisateur mise sur la consistance de son scénario et jamais sur la volonté de montrer des situations « choc ». Les meurtres sont froids, la peur des protagonistes visible et la tension ne fait qu’augmenter au fil de l’œuvre. Les regards et dialogues sont toujours pertinents. Ils cristallisent parfaitement la rage et la manipulation qui émanent des rapports entre les dealeurs mais aussi le respect et l’affection mutuelle. Comme le héros d’Il était une fois le Bronx, Sofiane pénètre dans un monde qu’il ne connaît qu’en surface et duquel il aura beaucoup de mal à échapper. Mais le personnage n’a pas la même fascination que Lorenzo pour le groupe qu’il côtoie. Ses motivations empêchent tout manichéisme et apportent les nuances qui font la réussite de Chouf.

    Dès la première scène durant laquelle nous découvrons la cité de Sofiane à travers les regards des guetteurs sur le toit d’une tour, l’immersion est totale. En jouant entre les espaces de la cité où le personnage principal est parfois cloisonné et le large de la côte, lieu de perdition où les exécutions sont planifiées, le réalisateur renforce l’enfermement de Sofiane dans un engrenage fatal. Dridi nous laisse entrevoir des relations extérieures comme celles avec la police ou un mafieux qui soulignent l’implication grandissante et la chute annoncée de Sofiane. Plus le récit avance, plus il entre dans des lieux sombres où le cinéaste joue à merveille avec les éclairages.
    L’ambiguïté entre la confiance accordée à Sofiane qui réfléchit à de nouvelles techniques de vente et l’usage limité qui est fait de lui par les chefs du groupe s’accentue jusqu’à la conclusion. Le spectateur ne sait jamais quel protagoniste devance l’autre et quelles trahisons vont avoir lieu. Certains gagnent énormément en ampleur à l’image des chefs du réseau incarnés par Foued Nabba et Oussama Abdul Aal alors qu’ils étaient volontairement mis en retrait lors de l’introduction.

    Comme dans The Wire, les rouages de l’organisation sont présentés de façon progressive avec brio. Le film montre sa hiérarchie et son fonctionnement sans tomber dans la mise en scène didactique ou moralisatrice. La documentation de Dridi et son travail à Marseille étendu sur des années rappellent la démarche du journaliste et écrivain David Simon, créateur de la célèbre série.
    Malgré un dernier plan trop appuyé et empreint d’un symbolisme dont il n’avait pas besoin, Chouf s’impose comme un thriller très prenant. Karim Dridi reprend des codes classiques et leur offre une nouvelle perspective en plantant de nouveau sa caméra à Marseille huit ans après Khamsa, ce que ne parvenait jamais à faire la série Netflix avec Gérard Depardieu. Chouf réussit à montrer l’envers d’un réseau à travers une narration totalement maîtrisée dans la veine des meilleurs polars français.

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